Je suis une force du passé

Ce poème est lu par Orson Welles dans le film “La Ricotta” réalisé par Pier Paolo Pasolini en 1963. Pour Béatrice Dalle, c’est le plus grand film antifasciste qui n’a jamais été réalisé. Il s’inscrit dans un ensemble de quatre films courts signés Gregoretti, Godard, Pasolini et Rossellini.

Avec

Béatrice Dalle, actrice

Béatrice Dalle découvre Pasolini lorsqu’elle a 17 ans grâce à son premier mari. Son dos est tatoué du poème Je suis une force du passé. En 2024, le réalisateur Fabrice Du Welz suit le voyage italien de l’actrice dans un documentaire intitulé La Passion selon Béatrice et, à travers elle, raconte l’Italie de Pasolini.

Un texte lu par Hélène Lausseur.

“On vient d’assister au plus grand film antifasciste qui n’a jamais été réalisé”

Dans La Ricotta, Pier Paolo Pasolini (1922 – 1975) fait coexister les vestiges romains et les HLM. Le film nait d’une volonté de raconter la Passion du Christ en banlieue. Pendant ce tournage fictif, l’acteur incarnant le christ ne cherche qu’à manger. L’œuvre, traversée par la provocation habituelle du réalisateur, est alors considérée comme un outrage à la religion d’Etat. Le cinéaste est condamné à quatre mois de prison avec sursis. Le poème est publié l’année suivante dans le recueil Poésie en forme de rose. À cette époque, Pasolini incarne déjà une riposte aux élites bourgeoises, à l’image de ses premiers films Les Ragazzi (1958) ou Une vie violente (1961).

“Je suis une force du passé” de Pier Paolo Pasolini

Je suis une force du Passé
Tout mon amour va à la tradition
Je viens des ruines, des églises,
des retables d’autel, des villages
oubliés des Apennins et des Préalpes
où mes frères ont vécu.
J’erre sur la Tuscolana comme un fou,
sur l’Appia comme un chien sans maître.
Ou je regarde les crépuscules, les matins
sur Rome, sur la Ciociaria, sur le monde,
comme les premiers actes de la Posthistoire,
auxquels j’assiste par privilège d’état civil,
du bord extrême de quelque époque
ensevelie. Il est monstrueux celui
qui est né des entrailles d’une femme morte.
Et moi je rôde, fœtus adulte,
plus moderne que n’importe quel moderne
pour chercher des frères qui ne sont plus.